L’atmosphère de la boutique était alourdie par la fumée âcre de l’encens bon marché, chargée de l’odeur de l’encre, de la sueur, du sang. Lyn ne s’en offusqua pas et trouva même l’endroit confortable, après examen soigneux. De la même façon que les chats avaient de curieux postes fétiches, elle se sentait ici à son aise. Et tant mieux, il paraissait que le propriétaire était le meilleur tatoueur-artiste de Terrilville.
I. At the beginning we were made of Chaos…
Le Chaos.
La matière s’y entrelace dans un ballet suave. L’énergie tournoie, tourbillonne, attire et repousse. Les volontés s’entremêlent puis se séparent, dissimulées sous leur manteau de brume. Aveugles, ils tremblent et tâtonnent, rampent et feulent. Se perdent. L’errance est si vite trouvée, humide et sans fin, dans un brouillard de mystère, palpable, ondin et aérien, brûlant et glacial.
Le Chaos n’a pas d’odeur, juste une présence suffocante, une mère possessive agrippe jusqu’à ce que le souffle vous manque, un poids constant. Le Chaos n’émet aucun son mais les créatures oniriques qui y dérivent vous poursuivent de leurs lamentations sereines. Mais le Chaos est présence, consistance, et c’est ainsi que tous ceux qui sont originaires de cet endroit se reconnaissent ; il laisse une marque indélébile sur ses créatures, y appose son sceaux, ses mystères, il enveloppe de son souffle et possède.
Les consciences défilent, aléatoires, certaines silhouettes dotées d’une forme véritable, d’autres simple mirages de songes oubliés. L’interminable valse ballotte les âmes, certaines se rencontrent et, ensemble, trouvent la force de se forger un corps. Quand Lyn – elle prend soudain conscience de ce nom, et nomme son frère d’âme Kellan – se sent frêle, quand sa forme menace de s’étioler, un rugissement puissant parfait sa création. Quand Kellan perd l’équilibre de sa force, quand son enveloppe menace d’exploser sous les flux d’énergie, elle devient la présence minuscule et rassurante qui apaise. Ne pas échouer. Ne pas laisser l’autre errer plus longtemps.
Sortir, crever la surface du brouillard pour commencer à exister.
Enfin, ils s’extirpent, et le monde, désolé, se dévoile aux yeux de Kellan. Lyn, elle, conscience trop jeune, est aussi aveugle que les bébés félins, cherchant du bout des pattes ses repères, humant l’air en quête de chaleur, perplexe, égarée dans cet environnement nouveau. Alors, le contact rassurant du front de Kellan contre le sien la conforte ; la solitude tourbillonnante du chaos la quitte peu à peu pour laisser place à une fraternité nouvelle et spontanée.
À l’origine, ils sont deux félins à la robe soyeuse et aux grands iris émeraude. Une fois métamorphosés, ils ne sont plus que deux corps nus, frêles et fragiles, à la stabilité précaire.
Et le monde s’étend à l’horizon, prêt à être découvert.
◊◊◊
« Un tatouage ? »« Pleins. »Elle tendit une cheville délicate en comparaison aux blessures qui marbraient son corps ainsi qu’un papier, et poursuivit :
« Ce motif, je le veux sous chaque malléole. »Le tatoueur fronça les sourcils, considéra les spirales qui se terminaient par des têtes de panthères, stylisées, hypnotiques. Puis finit par hausser les épaules en signe d’assentiment. Les paupières mi-closes, Lyn commença à fredonner, laissant les souvenirs remonter à la surface.
II. People longing for Chimeras.
Terrilville.
La ville pirate, en bordure du Chaos, fut la première étape du voyage des deux chimères. Elles avaient rencontré un ou deux convois, avaient bénéficié d'aide ou essuyé méfiance et insultes sur le chemin. Lyn et Kellan découvrirent bien vite qu'ils seraient plus tranquilles sous leur forme humanoïde sur les routes. Mais à la nuit tombée, ils redevenaient de majestueux félins et se fondaient dans les ténèbres.
« Vous êtes des chimères, vous deux, n’est-ce pas ? »Ce fut les premières paroles qui entendirent lorsque, sous un ombrageux crépuscule, ils franchirent les frontières de la ville. Lyn plissa les yeux, méfiante, Kellan bomba le torse, tant par fierté que par désir d’intimider. La jeune femme sourit à cette vision et, l’espace d’un instant, son visage se modifia. Les écailles reptiliennes et les plumes s’y mêlaient avec une étonnante harmonie ; ses yeux, dépourvus de paupière, luisaient d’une couleur améthyste surnaturelle, le son qui sortit de sa bouche dépourvue de lèvres était d’une clarté empreinte de pureté.
« Vous sentez le Chaos, expliqua-t-elle. Suivez-moi. »Au fil des jours, la méfiance se couvertit en fascination pour cette femme étrange. Elle leur enseigna le monde, leur donna le goût du voyage. Elle était, d'une certaine manière, devenue une mère, pour eux ; celle qui enseigne et partage.
« On veut parcourir le monde. »Ce fut Kellan qui annonça cette nouvelle, d'un air buté, la détermination suintant de toute son attitude. Ses yeux verts fixaient leur mentor avec une intensité farouche et ses muscles, tendus, marquaient sa nervosité. Lyn et lui avaient longuement discuté de ce moment, l'instant où ils annonceraient leur départ, inquiets de la réaction de celle qui les avaient recueillis.
Mais elle ne leur offrit qu'un sourire serein, les attira dans une tendre étreinte.
« Adieu, alors, et soyez prudents. »Quand ils se réveillèrent le lendemain, la maison était désertée. Depuis ce jour, Lyn avait l'intime conviction qu'ils ne la reverraient plus jamais. Elle n'en avait rien dit à Kellan, mais elle était certaine que le Chaos l'avait reprise, rappelée, aspirée.
*
La journée, ils marchaient flan contre flan, couvrant leurs arrières. Leur voyage se ponctuait de rencontre, enrichissait leurs âmes, les stabilisait. Une initiation à la vie, lente, laborieuse, ou les sentiments s'apprenaient avec patience et les comportements s'observaient avec attention. Ils en tirèrent de nombreux enseignements aussi ; certains leurs apprirent à se défendre, d'autres leurs volaient toutes leurs possessions. Le monde s'ouvrait à eux, peu à peu, parfois cruel, parfois empli de liesse.
*
Le feu de camp crépitait doucement dans la fraîcheur nocturne aux abords du désert. La journée avait été longue, brûlante, et suffocante. Et les deux chimères savaient que cela allait empirer dans les jours à venir.
« J'ai hâte d'arriver sur les Terres Boréales. »La voix de Kellan, sous sa forme féline, avait quelque chose de guttural. Cela chatouillait les oreilles de Lyn, qui, sous sa forme humaine, se servait de son compagnon comme oreiller ; bras croisés derrière la nuque, regard perdu dans la voûte céleste, Lyn ne pût qu'approuver.
« Le froid, le blanc. »« L'immensité. »Il y avait dans leur fascination, dans leur soif de découvrir, une qualité d'esthète. Le pelage noir dans les étendues immaculés, le mordant du froid, le mugissement du vent, chant subtil et sauvage à la fois. Et la neige. Lyn avait toujours voulu voir la neige, cette pluie froide et légère dont on lui avait parlé, cette chose curieuse et blanche qui devait probablement glacer les coussinets.
Elle se déshabilla sans pudeur aucune à l'égard de Kellan, laissa ses os et ses muscles se changer, sa silhouette se modifier, glissa dans sa peau d'origine, ô combien plus confortable. Elle se blottit contre l'autre chimère et s'endormit, rêvant de course folle dans les territoires Norn, sans savoir que jamais ils ne visiteraient ces contrées ensemble.
*
Douleur fulgurante sur l'épaule droite. Une marque au fer blanc. Et l'inconscience qui lui tend les bras, l'appelant pour l'éloigner de la souffrance, la berçant tendrement dans les brumes de mère Chaos pour lui faire oublier quelques instants, peut-être, combien le monde peut être cruel. Ô doux songes, pourquoi semblez-vous si amers ?« On en fait quoi, d'celle-là ? On la vend à un bordel ? »« T'es malade, ou quoi ? Une chimère ! Faut trouver quelqu'un d'assez riche qui voudrait en faire son jouet favori, ouais. »Lyn émergea du sommeil, revenant laborieusement à l'état de conscience. Les liens lui tenaillaient chevilles et poignets, une muselière de cuir tirait ses mâchoires en arrière. Aussitôt pleinement éveillée, certaine d'avoir analysé ses alentours avec discrétion ainsi que ses ravisseurs, son plan d'esquissait. Rapide, efficace. Impulsif. Elle se contorsionna, entama sa transformation, sortit les griffes, rugit, se contorsionna encore, modifiant partiellement le moindre recoin de sa physionomie, quitte à ce que la souffrance soit insupportable tant les inflexions qu'elle imposait à son corps étaient contre les lois - toutes relatives dans le Chaos - de la physique. C'était un tourbillon de liberté qui hurlait dans ses veines, la fureur d'être ainsi entravée qui s'exprimait.
Pire encore, elle était séparée de son frère, de sa moitié, cette âme qui était née avec elle, son compagnon de toujours. Le vide créé la rendit ivre de rage, de violence, réveillait en elle des instincts jusqu'alors insoupçonnés.
Pas assez rapide cependant.
Une lame glissa sous sa gorge, le métal froid contre sa peau la paralysa aussi sec.
Instinct de survie.
L'homme lui expliqua lentement, calmement - comme si elle était attardée - que si elle faisait la maligne, si elle essayait de s'échapper, elle signait l'arrêt de mort de Kellan. Il se trouvait qu'il connaissait quelqu'un qui n'avait pas toute sa santé mentale, et qui dévorait les chimères. Il pourrait en tirer un bon prix, du Kellan et de sa viande savoureuse, chuchotait-il. Le met devait être grandiose, susurrait-il. Un frisson d'horreur remonta le long de la colonne vertébrale de Lyn. Elle imaginait sans peine que son frère d'âme subissait à l'heure actuelle les mêmes menaces.
Le schéma lui paraissait simple, les rouages travaillaient déjà à fomenter un plan en adéquat pour contrer l'odieux chantage. Elle travaillerait au camp d'esclave tant que son prix n'était fixé - elle priait pour que ses potentiels acheteurs se crêpent le chignon suffisamment longtemps - tandis que Kella subirait un sort similaire : de par carrure et sa force, son utilité avait tout de suite été décidée. Enrôlé, il protégerait les convois tant que Lyn était prisonnière. S'il désertait, elle mourrait, et vice-versa.
◊◊◊
« Oh, vous revoilà ! »« Je vous avais dit que je reviendrais. Votre travail est parfait. »Flatté, le tatoueur sourit - ce sourire de commerçant si bien dressé. Lyn fut vaguement tentée de lui décocher un air carnassier et intimidant, juste pour le remettre à sa place. Mais elle se ravisa bien vite : à quoi bon ? Les terreurs à Terrilville, ce n'était pas ce qu'il manquait. Alors, ils travaillèrent patiemment à l'élaboration des tatouages suivants.
Des ronces entrelacées aux poignets et aux chevilles virent symboliser sa captivité. Sa cicatrice, là où avant son affranchissement trônait son appartenance, fût couverte d'une cage à oiseau. (
« Mademoiselle, tatouer une cicatrice, c'est... » -
« Je sais. J'm'en fous. ») Enfin, une étoile d'encre se délia sur sa nuque, symbole de ses rêves, de l'horizon qui ne l'avait jamais quittée, et de son dernier instant de bonheur - ce feu de camp sous ce ciel étoilé - en présence de Kellan.
III.Songs twirling in a rotten World.
Lyn et Kellan se voyaient de temps à autres. Leurs rencontres étaient toujours fugaces et intenses. Mille secrets s’échangeaient, à mi-voix, dans l’ombre. Ils savaient que le temps leur est compté. Les jours et les semaines passent, puis bientôt les mois. Lyn sera bientôt mise aux enchères et Kellan doit trouver un moyen de les sortir de là avant.
« Tiens-toi à carreaux, ait l’air résignée. Je me suis fait des amis dehors, des gens qui méprisent les esclavagistes. On va te sortir de là. » « Et toi, sois prudent. »Dès que l’occasion se présentait, Kellan lui apprenait un dialecte étrange, des symboles, des signes, comment reconnaître les gens de ce qu’ils appelaient la Poursuite. Il lui apprit des chansons, et lui apprit des théories de combat plus poussée. À chaque fois qu’elle le voyait, Lyn avait l’impression que son pelage devenait plus sombre. Il lui décrivait le monde au-dehors comme meilleur, mais loin de la perfection, il lui contait un monde de beauté, un monde parfait une fois le système rectifié.
Petit à petit, Lyn s’imprégnait de ses connaissances, de ses idéaux.
*
Lyn avait de la chance.
Cette réalité la frappa un beau jour, alors qu'elle se faisait rosser par l'esclavagiste. Les coups pleuvaient, mais jamais sur le visage - un peu plus tôt, dans la journée, elle avait croisé une esclave d'âge mûr complètement défigurée - jamais trop longtemps non plus. Elle avait cette qualité de chimère qui la rendait plus précieuse. Mais détestée, crainte aussi, comme souvent pour les créatures nées du Chaos. Elle était mieux nourrit, ses propriétaires étant soucieux de son apparence, de sa présentation.
Lyn se permit l'insolence.
Pas une insolence ouverte et ostentatoire - elle craignait pour le sort de Kellan - mais un air bravache qui laissait ressortir sa fierté. Muette, toujours, elle avait cessé de courber l'échine, de baisser les systématiquement les yeux, de se montrer sous son jour le plus misérable. Son attitude lui valait plus de coups, d'admiration, d'animosité qu'autre chose. Mais elle n'était plus aussi perdue qu'autrefois, et rêvait plus encore de sa liberté.
Perchée à la fenêtre du dortoir commun, les bras ballants à travers les barreaux, elle fredonna une chanson que Kellan lui avait apprise, laissant les intonations donner corps à son message nostalgique et l'énergie du Chaos rendre sa voix plus grave, plus féline.
Dans la cohue en contrebas, une paire d'yeux se leva vers elle. Un sifflement, trois notes hautes et claires lui parvinrent en guise de réponse. Deux jours plus tard, Kellan était de retour en ville.
Ce qu’elle ignorait, néanmoins, c’était que son chant avait attiré l’attention de quelqu’un d’autre, aux intentions bien moins louables.
Lyn avait de la chance, ses possesseurs voulaient la garder vierge pour le jour de sa vente. L’homme qui osa abuser d’elle cette nuit-là fût exécuté sans aucun scrupule.
◊◊◊
« Mademoiselle Lyn », l’accueillit le tatoueur.
Désormais comme chez elle dans ces lieux familiers où elle avait passé tant d’heures, elle se glissa entre les meubles et contempla les modèles avec une curiosité féline, esquissant un vague sourire à l’adresse de l’artiste.
« Ce seront des bourgeons qui naissent des ronces que vous m’avez déjà tatouées. Accompagnés de trois notes de musique. »Les prémices de la Liberté, des Idéaux, de la Poursuite.
« Avec ça, une couleuvre enroulée plus haut sur l’avant-bras, qui guette la cage… »Lyn chassa le souvenir bileux qui remonta à la surface, de cette nuit sombre et froide où l’on avait abusé d’elle. Sa voix avait dû se faire plus tranchante, plus aride, car le tatoueur ne lui demanda pas son avis l’esquisse de serpent qu’il lui destinait.
IV. Freedom came from Sacrifice.
Elle accepta l’étreinte de Kellan sans partager son enthousiasme.
« Lyn ! J’ai assez d’argent pour acheter ma liberté, je commence à économiser pour la tienne ! » Elle déglutit, prit une grande inspiration. Mais rien ne sort. Elle ne parvint pas à lui révéler la source de sa honte, les mots restent bloqués dans sa gorge. Elle se détourne, reprend sa forme originelle comme pour dissimuler son épiderme sous le poil soyeux. Puis elle se débat pour défaire son corps de félin de ses vêtements humains, trop distraite pour avoir pensé à les retirer avant. À moins qu’elle n’ait jamais voulu les retirer.
Kellan fronça les sourcils, s’approcha d’elle. Il plongea ses mains dans le pelage de son cou massif, l’obligea à lui faire face. Avec douceur, pour l’appeler à la confidence, il apposa son front contre le sien, plongea son regard dans l’émeraude de la panthère. Lyn détourna les yeux et, finalement, prononça les mots qui allaient sceller leurs destins.
« Mon prix a baissé. »Façon peu subtile de dire l’indicible.
*
Quelques jours plus tard, on vint chercher Lyn. Un ami de Kellan. Un membre de la Poursuite. Un homme dont elle ne se souviendrait jamais du visage - peut-être était-ce là l'effet du don d'un rêveur ? - et dont elle ne chercherait jamais à connaître l'existence. Tout ce qu'elle savait, c'était que Kellan avait été tué, pour avoir acheter la liberté de la Panthère pour l'affranchir aussitôt. Elle se souvenait aussi de la douleur cuisante, celle de la peau arrachée pour faire disparaître le tatouage qui marquait son appartenance en tant qu'esclave.
Mais la souffrance la plus insupportable était celle nichée dans ses entrailles, un mal viscéral qui rongeait sa détermination, une peine angoissante et asphyxiante qui consumait peu à peu son désir de vivre.
◊◊◊
« Vous avez une mine bien sombre, aujourd’hui, Mademoiselle Lyn… »Lyn porta un regard triste sur le tatoueur, hocha la tête vaguement. Le travail se fit dans un morne silence, cette fois-là, et le résultat, toujours satisfaisant, la prit à la gorge.
Le K sur son ventre plat, dont la calligraphie stylisée entourait son nombril. Car, toute sa vie, Kellan, ses idéaux, son sourire et sa puissance demeureraient à jamais le centre de sa personnalité, son point d’équilibre. Son frère d’âme. Désormais, c’était à travers elle qu’il vivait, qu’il parcourait le monde, qu’il luttait pour rétablir la justice qu’ils chérissaient tant.
Mais, la blessure aussi était incrustée dans l’âme. Lyn avait perdu sa moitié – du moins physiquement, peut-être la retrouverait-elle un jour, dans le Chaos ? – et la peine qui en résultat resterait vivace. La rage, la douleur qu’elle avait éprouvées ce jour-là s’étaient gravées profondément dans sa chair ; à l’instar de l’encre sur sa peau, tout près de son cœur, elles seraient toujours apparente. La mort de Kellan est symbolisée par une griffure qui lacérait son décolleté, profonde et sombre. Lyn était plutôt fascinée par le travail de l’artisan aux aiguilles et aux milles teintes ; l’encre rendait un relief, une profondeur qui fascinait bien plus que ses formes, quelque part.
I. Loneliness carries on Dreams.
Un énième jour alité s'écoulait.
Lyn était recroquevillée sur le plancher miteux d'une chambre peu fréquentable. Des mots flottaient encore dans l'atmosphère, soufflés en guise d'adieu par celui qui l'avait accueillie à son affranchissement.
« Si tu veux honorer la mémoire de Kellan, chante avec nous pour libérer ce monde. »Autour d'elle s'éparpillaient les effets de Kellan. Quelques économies. Un veste au cuir odorant dans lequel elle plongeait son nez. Des messages codés. Un équipement divers et varié. Une cimeterre. Quelques vêtements pour elle, fraîchement achetés.
Lyn ignorait combien de temps elle resta ainsi, prostrée dans cette chambre. Elle ressassait tous ses souvenirs, tant sur Kellan que sur son apprentissage. Ces codes, sifflés ou chantonnés à la légère, qui marquaient l'appartenance à la Poursuite. Ces combats, ces exercices. Les jours s'écoulaient ; elle ramassait avec un soin particulier les fragments de son âme malmenée, elle réunissait les éclats de son existence pour reconstituer un puzzle à la signification sibylline.
Elle combla les vides par la détermination. Elle enfouit ses sentiments au plus profond d'elle-même, se promit de ne plus jamais souffrir. Elle troqua la peine contre une colère mesurée, impitoyable, calculée - la pire de toute, incisive et létale - et elle transforma les souvenirs de la captivité en une patience redoutable.
Quelques semaines plus tard, elle avait ses preuves et intégrait la Poursuite, pour devenir, un jour, l'un des meilleurs informateurs.
◊◊◊
Un message en langage secret des Poursuivants au creux des reins.
Les roses des rêves, de la liberté.
Lyn contempla le résultat dans le miroir. Les roses s’épanouissaient sur l’un de ses avants bras puis à l’opposé, dans son cou. Certaines avaient fleuri sur les ronces, d’autres enlaçaient le serpent. Elles incarnaient les rêves, l’acheminement de la pensée, la maturation de l’âme. De créature chaotique, elle était devenue une chimère, encore jeune, mais à la personnalité forgée par les épreuves.