Histoire
Un sentiment d'injustice profonde. L'impression d'être seul au monde. Un vague ressentiment, même plus de la colère, simplement de la consternation, envers ce monde. En général comme en particulier. La sensation de ne pas faire le poids, de n'être rien face à l'adversité. La conviction de sa propre inutilité.
La résignation.
Ne plus lutter, simplement en finir.
Tout simplement.
Caresser le carré de plastique froid, parcourir le creux circulaire au milieu. Et les deux trous ronds, les deux parties de la serrure qui lui ouvrira la porte vers la liberté. Enfoncer ses deux doigts dans les trous.
Aussi simple que cela.
Les 220 volts qui lui traversèrent le corps contractèrent tous ses muscles dans une affreuse crispation, les doigts, le bras, l'épaule, les poumons. Et le cœur. C'était fini.
Curieusement, après cela, plus rien. Rien d'autre que le néant. À l'infini.
Puis, insidieusement, un léger brouillard s'infiltra dans sa perception. Une douce musique, comme un clapotis, arriva à ses oreilles. Un souffle humide et tiède rafraîchit sa peau. Une odeur, de multiples odeurs en fait, envahirent ses narines. Odeurs d'écume, de sel, d'iode. Son cerveau redémarrait lentement. Toutes les questions qu'il avait emportées faisaient de même. Et de nouvelles s'en rajoutaient. Était-il en train de revoir le déroulement de sa vie, comme on le prétendait? Ces sensations paraissaient trop réelles pour être un rêve.
Au prix d'un énorme effort, il entrouvrit ses paupières lourdes. Une lumière gris-bleutée envahit son champ de vision. Malgré sa faible intensité, elle suffit à l'aveugler pour un long moment. Une fois qu'il s'y fut fait, il distingua un ciel voilé au dessus de lui. De tristes nuages gris s'amoncelaient pour ne plus former qu'une couverture presque uniforme. Quelques éléments blancs qui tournoyaient s'en détachaient cependant. Des mouettes. Il était bien à la mer. Il tourna péniblement la tête de droite puis de gauche. Des deux côtés s'étirait le sable gris d'une plage étroite, coincée entre les flots chahutés et des dunes à la végétation éparse, elles-même surplombées par des falaises de roche grise. Rassemblant ses forces, il ramassa ses bras, et se releva à demi en s'appuyant sur ses coudes. Une fois assis, il évalua la situation. Il était allongé sur un rocher recouvert de mousse, dans un lieu inconnu, et la nuit n'allait pas tarder à tomber, derrière la grisaille. Ses membres étaient comme parcourus par une fourmilière, sa bouche était sèche, sa langue pâteuse et sa tête engourdie. Il aurait pu croire qu'aujourd'hui était un lendemain de cuite. Si c'était ça, le paradis tant espéré, il y avait de quoi être déçu. Mais le douloureux souvenir de l'éclair qui lui avait traversé le corps se rappela à lui et lui fit abandonner cette pathétique tentative de faire de l'humour.
Il resta comme ça un temps indéterminé, à demi assis, les yeux tournés vers l'horizon mais ne regardant rien. C'est seulement lorsqu'une main lui secoua l'épaule qu'il sortit de son état de semi-conscience.
-Monsieur? Vous allez bien?
La voix venait de derrière son dos. Il mit un temps à comprendre la phrase. Un temps apparemment trop long, puisque la voix recommença:
-Monsieur? Répondez-moi!
Là, il comprit. Il tourna la tête avec difficulté et marmonna un "oui...". Sa bouche était sèche, et sortir ce simple son lui râpa la gorge. Cela ne convainquit d'ailleurs pas l'individu qui lui parlait, car son visage marquait des signes manifestes d'inquiétude.
-Il ne faut pas rester ici. Vous pouvez vous lever?
Il tenta de se mettre sur ses jambes, mais le peu de forces qui lui restait ne lui permit que de se redresser douloureusement. L'homme lui tendit une main, qu'il prit avec gratitude. Ses jambes le supportaient à grand-peine, et la douleur qui l'envahit lorsqu'il tenta un pas le fit hurler. L'avantage fut que son propre cri le fit émerger de sa torpeur. L'inconvénient était qu'il sentait maintenant distinctement ses membres, et que ceux-ci n'étaient pas en aussi bon état qu'il avait bien voulu l'espérer un instant. L'inconnu insista néanmoins pour l'emmener avec lui. Il plaça son cou sous son bras et le porta ainsi, à travers les dunes puis en grimpant le long d'un chemin creusé à flanc de falaise, jusqu'à un village. L'ascension fut loin, très loin d'une partie de plaisir. Aussi, lorsque des gens accoururent vers lui et aidèrent celui qui le portait, puis l'étendirent à l'intérieur d'une maison, il sombra.
Lorsqu'il se réveilla, la luminosité avait nettement changé. Des chants d'oiseaux et des rires d'enfants résonnaient dans le lointain. Au-dessus de lui, un toit de chaume laissait entrevoir par les fentes qui le parsemaient des rayons de soleil, à l'intérieur desquels bourdonnaient paisiblement quelques mouches. Il sourit. Un ombre se plaça soudainement au-dessus de lui, qu'il détailla rapidement en un visage accueillant.
-Vous allez mieux?
Il hocha la tête, et se releva doucement. Autour de lui s'étiraient un mur circulaire de pierre sèche, parsemés d'objets en tous genre. Deux lits de paille étaient alignés avec le sien, à proximité d'un âtre vide.
La jeune fille lui demanda d'une voix douce:
-Vous pouvez vous lever?
-Oui, je crois que ça ira, fit-il en souriant.
Il semblait avoir recouvré des forces depuis la veille. L'effort lui parut étrangement facile, cette fois-ci.. La jeune fille le pria de la suivre, et elle sortit. Il dut se pencher pour franchir la porte, puis la suivit à l'extérieur. Rapidement, en le voyant, les gens du village cessèrent leurs activités pour venir le suivre le long de sa progression. L'attention dont il était l'objet l'intriguait, mais il ne posa aucune question. Lui et sa guide arrivèrent quelques pas plus loin à une maison imposante en comparaison avec les autres, et dont l'accès se faisait par un petit escalier qui le fit passer sous un fronton majestueusement orné de cornes géantes. La jeune fille s'inclina respectueusement et le fit entrer.
L'intérieur était sombre et respirait l'encens. Il s'avança jusqu'à un cercle de briques nimbé de lumière, à l'autre bout duquel un vieil homme était agenouillé, drapé d'un tissu ocre sur lequel s'étalait sa longue barbe. Sentant qu'il devait faire de même, il s'agenouilla lui aussi et attendit en silence. Le vieillard prit la parole après un long moment, d'une longue voix, mi-parlée, mi-chantée.
-Tu as été trouvé dans la crique, après un soir d'orage. Tu étais tombé de nulle part, et tu étais à demi-conscient. Tu étais vêtu étrangement, et tu parlais notre langue. Tu as dormi cinq jours, pendant lesquels tu as déliré. Nous le supposions, tes paroles nous l'ont confirmé. Tu es un Rêveur.
-Un rêveur? La litanie du vieillard semblait absurde, et pourtant elle lui parlait. Seul ce dernier mot l'intriguait.
-Tu es un Rêveur, reprit le vieil homme comme s'il ne s'était pas arrêté. Tu viens d'un autre monde, dans lequel tu es mort. Nous ne savons pourquoi, une deuxième vie t'es offerte. Et pour mieux la marquer, un pouvoir t'est accordé. Nous ne savons ton nom, qui a été effacé. Mais tu peux t'en choisir un, il deviendra le tien.
Son nom.
Cela venait de le frapper.
Il ne savait plus son propre nom. Un vertige le saisit tout à coup. Mais le vieux continua son discours de la même voix traînante, raillée, et pourtant très mélodieuse.
-Nos rites tu suivras, pendant une lune tu t'initieras. Après cela, ton nom tu choisiras. À jamais tu le porteras. Ton identité à nous dévoilée, ton pouvoir découvert, tu seras libre d'aller où tu le souhaites, et de quitter les côtes de Kaitan si le désir t'en prend.
Ainsi, dans le mois qui suivit, il fut initié. Il participa aux travaux des champs, aux chasses et à la pêche, suivit un entraînement physique intensif, autant de combat que de survie en milieu naturel, apprit à comprendre l'alphabet usité en ce monde, qu'il n'avait jamais vu, se coucha et se leva avec le soleil, sans se faire appeler une seule fois par un nom. Il tâcha de faire du mieux qu'il pouvait pour se rendre agréable et utile au village. Il se renseigna sur le monde dans lequel il était tombé, en interrogeant les villageois et les gens de passage, et découvrit que cet univers avait été créé, selon les légendes, par les songes d'une divinité, Inverness. Elle maîtrisait actuellement ce monde sans partage depuis bientôt mille ans. Son âme avait selon la légende été partagée en fragments, éparpillés aux quatre coins du monde, qui, s'ils étaient à nouveaux réunis, permettraient de maîtriser le pouvoir du Créateur.
Il découvrit également son pouvoir, une après-midi orageuse, au cours d'un entraînement au combat très poussé contre le meilleur combattant du village, Kahil Menej. Kahil était un homme très sympathique, enjoué et spontané, mais il demeurait une véritable armoire à glace face à lui, qui était loin d'avoir la moitié de la carrure de son adversaire. Il se fit cependant mettre à terre moins rapidement que d'habitude, mais avec une telle violence que Kahil faillit l'écraser sous son poids. Immédiatement, il sentit ses muscles se contracter, et une violente décharge électrique lui traverser le corps. Kahil tomba comme une masse à côté de lui, alors qu'il venait de le mettre quasiment hors de combat sans effort. Abasourdi, il mit du temps à réaliser ce qui s'était passé, tandis que les spectateurs se précipitaient pour relever son adversaire et le faisaient boire. Le doyen, qui avait observé la scène, comprit. Le pouvoir qui avait été accordé à ce rêveur était la maîtrise de l'électricité. Le vieillard passa le reste de la lune à lui apprendre à contrôler ce pouvoir, à capter l'électricité ambiante et à la restituer, de manière consciente. Il finit par y arriver relativement bien, même si, à chaque fois qu'une décharge lui sortait du corps, il avait une cruelle sensation de déchirement, qui lui rappelait un très mauvais souvenir.
C'est à partir de cette période qu'il commença à subir des troubles du sommeil. Des cauchemars, des insomnies commencèrent à l'assaillir, creusant légèrement ses traits et son moral. Il revoyait régulièrement sa mort en rêve, ce qui le réveillait à chaque fois, suant et blême, et l'empêchait de se rendormir. Comme il ne voulait pas réveiller chaque nuit ceux dont ils partageait la maison, il s'installa dans une grange à l'écart du village.
Lorsque le jour de la fin de lune arriva, une fête fut organisée sur la grande place du village. Un banquet en son honneur fut dressé, et le soir, autour d'un grand feu, le doyen vint face à lui et lui demanda quel nom il s'était choisi. Ce à quoi il n'avait en fait pas réfléchi depuis le début de la lune. Il se leva néanmoins et prit une longue inspiration, pendant laquelle il assembla mentalement des syllabes qu'il jugeait lui correspondre le mieux. Il déclara alors:
-J'ai choisi de m'appeler Zeih Hakan.
Le vieillard hocha lentement la tête, un léger sourire plissant ses lèvres.
-Ce nom te va bien. L'imprévu apporte parfois les meilleures choses de la vie.
Il s'assit ensuite en tailleur face à Zeih, et lui dit:
-Désormais, ta dette envers nous est acquittée. Tu es libre d'aller où tu le souhaites, Zeih Hakan.
Il fit ses adieux au village au petit matin, et partit sur la route un baluchon à l'épaule. Il marcha quelques jours ainsi, traversant les campagnes et les bourgades, se payant parfois un repas dans une auberge avec les quelques sous que lui avaient donné les habitants du village, avec pour direction la ville qu'on lui avait décrite comme capitale de cette province: Caladan. Il fut frappé de loin par l'apparence de cette cité dés qu'il l'aperçut. Bâtie à flanc de falaise, elle paraissait n'être qu'en hauteur, avec des bâtiments filant comme des flèches vers le ciel. Il ne se souvenait pas avoir jamais rien vu de semblable, même au cours de sa précédente vie. En se rapprochant, il remarqua qu'en réalité elle avait quasiment une forme pyramidale. Les bas quartiers, les plus éloignés de la mer, s'étendaient sur une assez grande distance, mais ils étaient éclipsés par les tours qui constituaient le restant de la ville. Il pénétra dans la ville en levant la tête, comme sans doute n'importe quel visiteur, et il faillit à plusieurs reprises se cogner à des gens plus pressés que lui. Il ne savait d'ailleurs absolument pas où aller, et décida de se diriger vers le centre, là où les bâtiments seraient les plus beaux à observer. Il remarquait que de très nombreux ponts suspendus tissaient au-dessus des rues un important réseau aérien. Réseau où se mouvaient d'ailleurs nombre d'engins volants divers et variés.
Cependant, tout en suivant les avenues menant au centre-ville, Zeih avait la désagréable impression d'être observé. Il se retourna à plusieurs reprises, mais la foule l'empêchait de distinguer qui que ce soit de précis. Il décida de monter dans les étages supérieurs pour avoir un champ de vue plus dégagé. Là non plus, il ne remarqua rien. Il commençait à se demander s'il ne devenait pas paranoïaque. Perplexe, il redescendit et alla s'offrir un verre à une taverne qu'il avait repérée, un peu au dessus du niveau du sol. Lorsqu'il y entra, il fut étonné du changement d'ambiance avec l'extérieur: La chaleur et le bruit qui y régnaient contrastaient fortement avec la tiédeur et le calme relatif de ce qu'il avait pu voir de la ville. Il s'accouda au bar et commanda une bière, qu'il dégusta tranquillement, tout en surveillant la porte de la boutique du coin de l’œil.
Il sentit tout à coup quelque chose frôler sa main. L'homme accoudé à côté de lui se leva à ce moment et partit vers le fond de la salle. Zeih baissa les yeux et remarqua un petit bout de papier plié en deux à côté de son verre. Il le déplia discrètement et le déchiffra.
« Rendez-vous discrètement dans l'arrière boutique et demandez à l'homme assis quelle est la voie vers la liberté. » fut ce qu'il comprit du message griffonné. Intrigué, il régla sa boisson et se leva le plus tranquillement qu'il put. Rendu à la porte marquée "privé", il hésita un court instant et jeta un discret regard circulaire. Personne ne semblait s'être intéressé à lui parmi les clients attablés dans la salle. Il poussa la porte et pénétra dans un couloir étroit, faiblement éclairé par une lanterne accrochée au mur. Un homme somnolait, assis sur une chaise au bout du couloir, environ cinq mètres plus loin, avec une porte dans son dos et une autre à sa gauche. Zeih s'approcha et tenta la phrase qu'il avait lue sur le papier.
-Hum... Quelle est la voie vers la liberté ?
Pour toute réponse, et sans quitter sa position affaissée, l'homme tendit une clé en travers du couloir, en direction de la porte de gauche. Zeih s'en saisit et ouvrit la porte, qui donnait sur un escalier en colimaçon. L'homme lui indiqua de descendre, ce qu'il fit, de plus en plus intrigué par rapport à se qui se passait dans cet endroit. À peine eut-il descendu trois marches que la porte se refermait derrière lui et qu'il entendait tourner la clé dans la serrure. La voie vers la liberté semblait être à sens unique... N'ayant d'autre choix, il continua à descendre, passant devant nombre de portes murées et manquant à plusieurs reprises trébucher sur des marches bancales, jusqu'à à atteindre une porte, non murée, elle, et grande ouverte. Un homme qui se tenait là le fit entrer et referma la porte. Zeih se retrouva dans une pièce à peine moins sombre que l'escalier, éclairée uniquement par un faible lustre au milieu du plafond. L'espace était occupé par une table circulaire en bois, derrière laquelle un homme était debout, le haut du corps dissimulé par l'obscurité.
-Approchez, rêveur.
Le ton était ferme, sans pour autant être péremptoire, et avec même une légère nuance de chaleur. Une certaine autorité naturelle se dégageait de l'homme dans la pénombre. Zeih eut à peine le temps de s'étonner qu'il connaisse son état que déjà il reprenait la parole.
-Tout d'abord, merci d'avoir accepté de suivre ce qui vous a été demandé. Les rêveurs sont précieux et nous en avons un cruel besoin. Mais vous vous demandez sans doute qui nous sommes et pourquoi nous vous avons fait venir ici.
Zeih acquiesça.
-Avez-vous déjà entendu parler de la Poursuite ?
-Jamais de la vie.
-Nous sommes une organisation qui cherche à rétablir une réelle justice en ce monde, en détrônant le despote qu'est devenu Inverness. Pour cela, il nous faut réunir les fragments. Et pour réunir les fragments, il nous faut un rêveur. Vous en êtes un, et c'est pour cela que vous êtes ici.
Zeih hésita un instant, puis questionna :
-J'ai dû mal comprendre quelque chose... Vous voulez détrôner un dieu ?
-Inverness n'est pas un dieu au sens où vous l'entendez. Il a créé ce monde, il semble avoir des pouvoirs, ainsi qu'une certaine forme d'immortalité, mais il n'est pas un dieu. En réunissant les fragments de son âme, nous devrons pouvoir le contrôler.
-Mais... est-ce que vous avez des informations sur ces fragments ? Est-ce que vous êtes seulement sûrs qu'ils existent ?
-Nous n'avons aucune certitude, seulement des hypothèses. Je ne vais pas vous mentir, personne n'a jamais pu témoigner d'avoir vu un fragment, à part des mythomanes et des piliers de comptoir. Et il est en effet tout à fait possible que cette légende ne soit qu'un mythe inventé par le Bene Gesserit pour nous empêcher de trop nous intéresser à ses activités.
-Le Bene Gesserit ?
-Une sorte de confrérie de guérisseuses et de prêtresses, qui a étendu son pouvoir dans à peu près toutes les strates de la société. Elles peuvent sembler inoffensives mais ne t'y fie pas : elles sont toutes surentraînées et perfides, et disposent de talents très... efficaces.
-Talents comme quoi, par exemple ? Autant que je sois au courant, au cas où j'en rencontrerais une.
-Être au courant ne te sera pas très utile, sachant qu'en général elles ne préviennent pas avant d'attaquer quelqu'un. Elles sont extraordinairement efficaces au combat rapproché. Elles peuvent également, on ne sait trop comment, t'influencer, voire même te contrôler ou te neutraliser par leur seule voix. Et elles savent parfaitement reconnaître si tu mens ou si tu dis la vérité quand tu leur parles.
-Ah... Et... Il y a des moyens de les contrer ?
-C'est dur. On peut suivre un entraînement de résistance à la Voix, mais ça ne suffit pas à y être vraiment désensibilisé. Comprend bien ça : les Bene Gesserit sont comme des machines vouent toutes une parfaite foi à leur ordre. Je ne pense pas que l'on puisse rencontrer de plus puissant adversaire qu'elles.
-Ok, je tâcherai de ne pas m'y frotter, fit Zeih avec un léger sourire. Mais... vous ne m'avez pas dit quel serait mon rôle dans votre organisation ?
-Pour l'instant, aucun rôle spécial. Après l'entraînement que nous allons te faire subir dans les prochains jours, tu devras agir comme si de rien n'était, éventuellement essayer de te construire un réseau ou de collecter des informations à droite et à gauche, mais sans plus. Tu devras attendre nos ordres avant de tenter quoi que ce soit.
-Et je les recevrai comment, vos ordres ? J'imagine qu'Inverness ne doit pas être spécialement enchanté de vous voir comploter contre lui, et qu'en tant que créateur de ce monde il doit avoir des moyens d'intercepter les communications, non ?
L'homme sourit.
-Très juste. La manière dont tu recevras nos ordres sera un des principaux objets de l'entraînement. Tu verras, c'est assez spécial.
Zeih réfléchit un instant, essayant de peser le pour et le contre. Il n'avait rien à reprocher à cet Inverness dont il ne savait rien, et en fin de compte il était absolument étranger à ce que disaient endurer les peuples de ce monde, mais la perspective, l'espoir à peine esquissé, d'accéder au pouvoir que lui donneraient ces fragments, non pas uniquement par pure recherche de puissance, mais plutôt le fait d'avoir une chance, même infime, d'accéder à un secret si bien gardé... Cela le tentait.
-Ça marche, fit-il après quelques secondes.
L'homme se leva, et Zeih fit de même. Un de ses acolytes ouvrit une porte dans le fond de la salle, et ils sortirent en file indienne derrière lui, à travers un couloir humide, qui, environ cinquante mètres et une porte en fer plus loin, à un immense port, où, entre des myriades de bateaux de toutes formes et de toutes tailles, s'affairaient des cohortes de dockers et de marins, dans une agitation toute particulière qui lui était étrangement familière. La petite troupe se dirigea discrètement, au milieu de la foule, vers un petit catamaran aux lignes élancées, qui appareilla juste après qu'ils aient montés. Le bateau les fit passer sans problème les divers postes de garde-côtes et les amena, sous la barre du chef, à destination quelques jours plus tard.
-Terrilville. Le plus important et le plus sûr repère de poursuivants et de pirates. Sens-t'y comme chez toi, fit l'homme qui semblait de plus en plus manifestement avoir un rôle important dans cette Poursuite.
Terrilville, si elle était moins étendue et grouillante que le port de Caladan, n'était pas pour autant un petit bled de pêcheurs. Le vent froid et humide qui s'engouffrait par ses ruelles refroidissait à peine l'ardeur des marins, auxquels la brume conférait parfois, de loin, une allure fantomatique. Le chef de la troupe emmena Zeih jusqu'à une taverne, au cœur de la cité, où il fut officiellement accepté au sein de l'organisation. Puis, il passa des tests divers, de résistance physique et mentale, d'aptitude au combat, etc... et subit un entraînement en conséquence. Il apprit notamment à limiter le pouvoir de la Voix sur son esprit, ce qui fut particulièrement laborieux et douloureux.
Il avait légèrement perdu la notion du temps depuis le début de cet entraînement, et il n'était guère habitué au décompte des jours tel qu'il était fait dans le calendrier de ce monde, aussi, quand il apprit qu'il avait passé plus de 70 jours dans la cité pirate, il fut assez étonné... Au moins se sentait-il prêt, désormais, à affronter ceux qui se mettraient en travers de son chemin. Qui qu'ils soient.